La Baille septembre 2000
Trente ans après, deux naufrages de sous-marins français restent inexpliqués
Notre camarade Hubert Foillard (EN 58) a relevé dans un article de presse paru cet été sur la disparition de la Minerve et de l'Eurydice plusieurs erreurs techniques, quelques affirmations erronées, et l'expression d'une thèse visant à expliquer "le silence opaque de la Marine française" par les nécessités des ventes d'armes. Nous reproduisons ici la lettre qu'il a adressée au directeur du quotidien pour reprendre chacun de ces points.
Il m'est impossible de rester sans réponse à la lecture de l'article que votre journal publie dans son édition du samedi 26 août sous la signature de M. Jacques Isnard. Je ne suis pas un « expert qui croit pouvoir se souvenir après coup », mais simplement un sous-marinier de 40 ans de carrière à qui la République a fait l'honneur de confier les commandements d'un sous-marin de type Daphné, puis d'un de type Narval, puis du SNA Rubis prototype de sa série, d'un SNLE de type Redoutable et enfin de l'escadrille de sous-marins de la Méditerranée. J'ajoute que j'ai été embarqué sur le sous-marin Eurydice comme second jusqu'à peu de temps avant sa disparition (J'étais second à bord lors de la "plongée spectaculaire" du général de Gaulle), qu'enfin j'étais passager stagiaire à bord de la Flore le jour du "simili naufrage" et que j'ai été entendu comme témoin par les trois commissions d'enquête successives. Je relève dans l'article de M. Isnard un certain nombre d'erreurs à caractère technique très surprenantes de la part d'un journaliste accrédité « défense » depuis des décennies, qui a toujours eu toutes facilités pour apprendre et comprendre le milieu maritime. Ne lui ai-je pas moi-même facilité l'embarquement sur le sous-marin nucléaire d'attaque Saphir en 1986 alors que je commandais l'escadrille de ces sous-marins à Toulon ? Passe encore des erreurs de chiffres (la Minerve ne repose pas à 1 000, mais à 2 000 mètres de fond), de dates (la série des Narval est antérieure de 10 ans à la série des Daphné, la "mésaventure" de la Flore ne date pas de 1970 mais de 1971), de technique (le "schnorchel", que nous appelons tube d'air, ne sert en aucune façon à évacuer les gaz d'échappement en plongée, mais seulement à aspirer l'air frais nécessaire à la bonne marche des diesels),si malheureusement je ne relevais pas de l'information inventée de toutes pièces :
- durant la "mésaventure "de la Flore, il n'y a jamais eu de blocage des barres de plongée, pas plus que sur aucun autre sous-marin français de quelque type que ce soit pendant toute ma longue carrière, même si les équipages sont particulièrement entraînés à remédier à ce type d'avarie, aussi catastrophique sur un sous-marin qu'une perte de gouverne de profondeur sur un avion et heureusement aussi peu probable ;
- il est faux de dire que le sous-marin Psyché ait également été victime d'incidents de ce type ; il n'a, à ma connaissance, jamais eu à en déplorer.
Il y a malheureusement plus grave puisque M. Isnard faire état, s'agissant de la « mésaventure » de la Flore, d'un sérieux affrontement entre le commandant et le second. Ayant été constamment aux côtés de l'un et l'autre pendant "l'incident", je puis témoigner solennellement que ce prétendu désaccord est de l'affabulation pure et simple dont la diffusion n'honore pas son auteur.
Venons-en maintenant au fond de la question : le «silence opaque» de la Marine nationale pour des motifs commerciaux ou la raison d'Etat. Tout le monde sait que la Minerve a disparu sans laisser de traces et qu'en revanche l'épave de l'Eurydice a pu être repérée et photographiée. Dans les deux cas, la commission d'enquête, faute de preuves matérielles, n'a pu qu'émettre des hypothèses sur les causes de ces catastrophes, les classer par ordre de probabilité d'occurrence et émettre des recommandations de tous ordres (matérielles, opérationnelles, de formation et d'entraînement) pour les minimiser. La Marine s'est ensuite attachée à mettre en œuvre de façon rigoureuse l'ensemble de ces recommandations pour ses sous-marins et à les expliquer et proposer aux marines étrangères dotées de bâtiments du même type. J'ai moi-même participé à l'époque à l'information et à l'instruction sur ces sujets de nos camarades pakistanais et sud-africains, dont je reconnais volontiers que M. Isnard ne faisait pas partie. Je doute fort que lui soient un jour communiqués les rapports d'enquête des catastrophes aériennes et maritimes françaises et occidentales depuis 1970, même si des éléments en ont été divulgués par les autorités responsables à l'occasion de conférences de presse. La rigueur scientifique, voire judiciaire, d'une enquête impose de ne faire état que de ce qui est sûr et démontrable à partir des pièces à conviction recueillies, et je rappelle que nous n'en avons pas la moindre concernant nos deux sous-marins.
Pour résumer, bien « que la marine française ait joué franc jeu », vous resterez sur votre faim en 2018 car les commissions d'enquête en ont bel et bien été réduites à des hypothèses sur les accidents tragiques de la Minerve et de l'Eurydice, mais grâce à leurs travaux, les sous-marins ont été améliorés, les marines étrangères ont été informées au bon niveau, et leurs bâtiments modifiés comme les nôtres, sous leur responsabilité. Soyez donc rassuré, monsieur Isnard, nous avons fait notre travail, même si nous avons omis de vous intégrer dans les équipes chargées de celui-ci. Il me semble en revanche que le vôtre consisterait à ne faire état que d'informations vérifiées, crédibles sur le plan technique, ce qui est le moins que l'on puisse attendre d'un journaliste d'un de nos grands quotidiens de la presse écrite, qui garderait ainsi la confiance que de nombreux militaires qui l'ont rencontré mettaient en lui.
Vice-amiral d'escadre (2S) Hubert Foillard