Travaux de la Commission d'Enquête ( 5 Février-2 Juillet 68)
Le 5 février une commission d'enquête est ordonnée sous la présidence de l'amiral EVENOU, inspecteur général de la marine.
Cette commission produit :
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un rapport préliminaire le 17 février
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un rapport définitif le 2 juillet
Elle s'est attachée à rechercher les causes possibles de l'accident. Elle n'en a trouvé aucune de certaine.
Devant le manque d'indice, elle a voulu retrouver l'épave et a dû , à cet effet, analyser un ensemble de manifestations.
De tous les faits qui lui ont été rapportés, elle n'a retenu que les évènements suivants :
Événement n° 1 :
Rupture de la liaison UHF entre l'avion et le sous-marin : phénomène courant s'expliquant par la hauteur des vagues, par une perte d'immersion passagère...
Événement n°2
Phénomène lumineux observé par deux pêcheurs alors qu’ils sortent des passes du Bru sous la forme d'une grande lueur avec des reflets verts à 4 ou 6 N dans l’alignement de la pointe de la Gardiole et du fort de Six-Fours.
La position approximative est :
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La 43°00 N
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Lo : 5°45 E
Cette lueur a été attribuée à un lamparo non identifié.
Événement n°3
Le 28 janvier des taches d'eau polluée par du gas-oil sont détectées par
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le PC ADROIT en 215 SICIE 8 à 09:00 heures
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le TRAVAILLEUR en 224 SICIE 8 à 13:45 heures
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Le PACHYDERME en 227 SICIE
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Le remorqueur ACTIF en 227 SICIE
La nappe était large de 200 à 500 mètres et s'étendait sur 2 N au 245 dans le sens du courant. Elle présente deux couleurs. Il s'en dégage une forte odeur de gasoil frais comme lors d'un ravitaillement à la mer. Des bulles grosses comme des cochonnets de pétanque viennent éclater à la surface et s'y diluer ( NB[1]). L'analyse chimique des échantillons recueillis confirme la possibilité que cette nappe contienne du gas-oil utilisé par les sous-marins.
Amiral Jules Evenou
Evènement n°4
Un sac à ordures de sous- marin est trouvé plié par un hélicoptère du CLEMENCEAU[2] le 30 janvier à 14h50 en 235 SICIE II. En fait, ce sac avait déjà été utilisé et il est difficile d'en déterminer l'origine.
Sa position est
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La : 42° 55 N
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Lo :5° 40 E
Evènement n° 5
Sur un appontement de la plage du golf-hôtel de Beauvallon à Ste Maxime, deux enfants de 13 et 14 ans, fils de M. BERTHONNIER, observent que l'appontement est violemment secoué par un choc, une déflagration. Une recherche auprès des centres de détection sous-marine des environs ( Brusc) ne donne rien, car ces centres ne sont pas armés le samedi. Mais sur indication de l'ICGM COPPIN de la Pyrotechnie de Toulon, un contact est pris avec les responsables du réseau des stations de sismographes du Sud de la France, rattachées au Laboratoire de Géophysique et au Commissariat à l'Energie Atomique. Les résultats furent négatifs .
Evénement n° 6
Le CEA (Commissariat à l'Énergie Atomique), par la voix de son directeur le professeur ROCARD signale que le 27 janvier à 7h 59 m ses laboratoires chargés de détecter et surveiller toutes les explosions souterraines ont enregistré une implosion en Méditerranée au large de Toulon.
Les stations sismologiques rattachées à l'Institut de la Physique du Globe (IPG) confirment l'existence de ce signal anormal sur leurs enregistrements de routine réglés à une vitesse précise au 1/10° de seconde près:
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CADARACHE (CNRS ) 07 h 59 m 42,4 s
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CHAUDANNE 07 h 59 m 46,9 s
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SERRE-PONÇON 07 h 59 m 56,5 s
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ISOLA (service hydrographique) 07 h 59 m 55,2 s
Le 8 mars, Mme LABROUSTE, chef du service de sismologie de l'Institut, estime que le signal a été produit par une explosion, équivalente à 1500 kg de tolamite (dynamite à base de toluène), ayant eu lieu à 06 h 59 m 23,6 n ; 0,5 s en un épicentre,
de coordonnées :
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La :42°46,0± 1
avec la précision de ±1 km en azimut
0,5 km en distance pour une probabilité de 25 %
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Lo :5°50,0± 0,5
Avec la précision de±1 4,5 km en azimut
± 2 km en distance pour une probabilité de 95 %
Enregistrements du Laboratoire de détection et de Géophysique - originaux SHD Vincennes
Professeur Yves Rocard
Cette découverte est tellement sensationnelle qu'on se dépêche aussitôt de recherche des signatures analogues sur des enregistrements d'autres stations et qu'on entreprend parallèlement des expériences de confirmation.
On découvre ainsi que les stations rattachées au Laboratoire de Détection et de Géophysique (LDG-ALPENS) (LORGUES-St PAUL EN FORET LA MOURRE ) ont eu également des signaux dus à un ébranlement inexpliqué.
Après analyse et essais de confirmation avec des explosions de deux grenades de 30/50' de Tolite, le Professeur ROCARD [3] place le centre de l'explosion, à la distance de 81,0 ±0,5 km du centre des stations précédentes et dans l'azimut 219° 3/4 des ARCS,
soit en La : 42° 50,4 N avec une incertitude de 2 km
Lo : 5° 49,4 E
Les positions données par l'IPG et le LDG étant différentes de 4,4 N, un officier du Génie, le général TEISSIER se propose le 2 avril de les rapprocher en :
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mesurant réellement les erreurs de propagation grâce à des explosions de quatre charges lourdes de une à trois tonnes à l'immersion de 600 mètres, aux quatre coins de la zone encadrant les positions données par l'IPG et en réglant la vitesse des enregistrements de façon à obtenir une vitesse de déroulement précise au 1/100° sec.
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provoquant une confrontation avec le SH, des deux équipes de sismologues de l'IPG et du LDG pour attribuer un coefficient de pondération à chacune des positions.
Des essais de charges ont donc lieu :
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du 15 au 19 Juillet avec des charges de 35 kg à 600 mètres,
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du 22 au 29 Juillet avec une à trois charges de 1 tonne à 600 mètres avec quatre à six grenades sous-marines.
En conclusion, des deux hypothèses émises par le Service Technique des Constructions et Armes Navales (impact du sous-marin contre le fond ou implosion); le Général TEISSIER ne retient que la seconde c'est-à-dire l'écrasement brutal par la pression de l'eau vers 700 mètres de profondeur, d'un récipient contenant environ 700 m3 d'air, à la position calculée par le LDG.
Evènement n° 7
Dix-neuf bâtiments ayant été cités par Marine Marseille comme pouvant avoir été dans la zone le 27 matin , une visite de coque est systématiquement effectuée sur treize d'entre eux immédiatement accessibles. En particulier sur le FARAMAN et Le SOLOGNE dont la présence est certaine vers 08h 00 heures au large du Cap SICIE.
Aucune anomalie n'est relevée.
Evénement n° 8
Il reste évidemment la position du sous-marin estimée par l'avion à 0734. Le rapport préliminaire fixe celle-ci en :
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La: 42° 39,8 N
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Lo 6° 00,5 E
Après reconstitution de l'estime, le Rapport Définitif découvre un écart de 2,3 N dans le 295 et place la nouvelle position en :
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La: 42° 40,8 N
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Lo: 5° 57,7 E
D'après cette conclusion , le sous- marin est à 7,1 N dans l'ESE du secteur T65, Ce qui est peu probable puisqu'il s'est recalé le matin même, 6 heures avant en déposant l'officier d’entraînement en rade des Vignettes. L’erreur d'estime est normalement inférieure à 10% du chemin parcouru soit au maximum 1/10 ( distance Toulon-Point estimé de 0734 ) = 25 N/I0 = 2,5 N ce qui est inférieur aux 7,1 N ci-dessus.
Il peut y avoir aussi une erreur de navigation de l’avion. Cela s’est vu plusieurs fois dans le passé pour ce type d'appareil. Un élément vient corroborer ce point de vue puisqu'il détecte un cargo à 07h20 à une position où il semble après coup qu'il n'y a eu aucun bâtiment alors qu'au contraire le FARAMAN s'estime à 11,8 N dans le 333 de ce point. Si on effectue un transfert de 11,8 dans le 333 à la position du sous-marin donnée par l'avion, on tombe très près de la position sismique du LDG ( à 1,2 N dans le 035).Mais cette erreur de navigation est sujette à caution car en fin de mission, l'avion s'est bien recalé 29 minutes après sur le PLANIER…
En définitif, la commission conclut que les seuls événements 6 et 8 peuvent donner une position approchée, moyennant l'hypothèse d'une erreur de navigation de l’avion. Elle estime que la zone probable est celle centrée sur la position calculée par le LDG et définie avec une probabilité de 95% c.-à-d. un rectangle de 9 km sur 4 km.
C'est cette zone qui servira de base aux recherches de 1968 et de 1970.
[1] Dans le cas de la SYBILLE, sous-marin qui coula en septembre 1952, les remontées de gas-oil ont duré 24 heure
[2] Porte avion français basé à Toulon en service de 1961 à 1997
[3] Le père de l'homme politique Michel ROCARD - Voir fiche Yves Rocard sur Wikipedia )