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Discours au nom des familles par M. Hervé Fauve

Quelques semaines avant que je n'ai l'idée de créer ce site, j'ai été sollicité par le Président de l'AGASM, l'Amiral SALLES,  qui m'a demandé si j'acceptais de prendre parole au nom des familles.

J'ai accepté.

Ci-dessous les mots que j'ai prononcé le 27 janvier 2018, devant le Monument National des Sous-Mariniers lors de la cérémonie.

Mesdames  messieurs,

Lorsque l’on m’a demandé si j’acceptais d’intervenir aujourd’hui au nom des familles, j’ai été pris d’un doute. Comment parler, au nom de tous, d’un drame qui résonne si différemment pour chacun d’entre nous. Comment parler d’une douleur individuelle au nom de 52 familles ?

Ce matin nous sommes nombreux à n’avoir qu’un seul visage, qu’un seul nom en tête. Un visage qui s’est figé à jamais il y a 50 ans aujourd’hui ce 27 janvier 68 à 8 heures du matin. C’était un époux, un fiancé, un fils, un frère, un père, un oncle, un cousin, un ami.  Un homme qui avait autour de 20-30 ans, qui aimait, avait des espoirs, avec qui on partageait des projets, des envies, certains avaient fondé une famille d’autres s’y apprêtaient, des enfants étaient à naître.

Pour moi ce n’est pas le Lieutenant de Vaisseau Fauve, pacha de la Minerve, qui a disparu ce matin-là, c’est mon père. Pour tous ceux qui le connaissaient, c’était Teddy.

Cette douleur ne se partage pas, elle ne se raconte pas, elle est au plus profond de chacun d’entre nous, avec une intensité que nous sommes seuls à percevoir. Nous la portons depuis ce matin du 28 janvier 68, lorsque les sonnettes d’entrée retentirent pour nous apprendre la terrible nouvelle.

Ce drame nous l’avons vécu chacun à notre façon. Ma grand-mère, Marie-Thérèse, morte il y a 2 ans, 48 ans après son fils ainé, n’a jamais voulu en parler. Ma mère, Noyale, morte il y a 6 ans, en parlait lorsqu’on la sollicitait, mais elle tenait à la discrétion. D’autres, enfants en 68, n’ont que de vagues souvenirs, voire, plus terrible, pas de souvenirs du tout car trop jeunes à l’époque.  Et que dire de ceux qui, comme mon frère André, naquirent orphelins dans les mois qui suivirent.

Ceux qui étaient à Toulon et dans les autres ports militaires, ont pu s’appuyer sur l’extraordinaire élan de solidarité de celle que l’on appelle la « sous-marinade ». Des noms de  ces jours-là me reviennent en mémoire, Cousturié, Albatro, Orsini, Bladé, Faltot et bien d’autres qui nous avaient permis de mieux passer cette difficile épreuve.

Parmi tous ces noms, il y en a un que je tiens à citer particulièrement en ces circonstances, c’est Bernard de Truchis, qui sera le pacha de l’Eurydice lors de sa disparition le 4 mars 1970. Nous sommes plusieurs à nous souvenir aujourd’hui encore de son soutien attentionné.

L’une des dimensions du drame avec laquelle nous dûmes apprendre à vivre fut la détresse de rester dans l’ignorance de ce qui s’était passé. A l’époque, nous étions, en plus, exposés à des propos directs durs à entendre envers nos proches disparus dans ce drame.

L’institution Marine fit des hypothèses, prit des mesures pour remédier aux causes possibles de l’accident, mais ne nous dit jamais rien. Certes ce n’étaient que des hypothèses faute d’avoir retrouvé l’épave, mais nous avions aussi nos questions : comment étaient-ils morts, avaient-ils souffert, où étaient-ils ? La question restait, et, pour certains, reste encore ouverte. Cela fut encore plus vrai pour les nombreuses familles sans lien avec la Marine. Cette semaine encore j’ai reçu des témoignages de cette détresse.

Lentement   patiemment, opiniâtrement, discrètement j’ai cherché. Cherché à mieux connaître ce père que je n’avais vu qu’avec mes yeux d’enfant, cherché à savoir ce qui s’était passé ce 27 janvier et les jours qui suivirent.

Le premier à m’aider fut Roger Piot avec qui ma mère s’était remariée, mais aussi bien d’autres amis sous-mariniers avec qui j’avais tissé de forts liens de confiance. Connaissant leur propre exigence morale, je savais qu’ils ne me mentaient pas. Ainsi, quand Francis Orsini, parrain de mon propre frère, déclare que l’on ne sait rien avec certitude, que l’on a que des hypothèses, je le crois.

Je suis même allé voir au plus haut niveau de l’état, en 2003,  en contactant directement le ministre de la Défense de l’époque, M. Pierre Messmer, qui nous raconta à Christophe Agnus, fils de Jean Agnus,  et à moi-même, comment il avait vécu cette disparition et même la perception qu’en avait eu le Général de Gaulle lui-même. Tout cela, en silence, sans en parler durant de nombreuses années. Certains ont peut-être pu voir le fruit de ce long travail, je l’ai récemment partagé sur internet pour tous ceux qui voulaient savoir.

Avec les années, les rangs de ceux qui les avaient connus s’éclaircissent, de nouvelles générations apparaissent. Nos proches, disparus, seraient aujourd’hui, grands-parents, arrière-grands-parents Il y a ici certains de ces petits enfants dont le grand-père n’existe qu’à travers notre témoignage. Ils doivent savoir qui était leur grand-père, savoir que ce n’est pas seulement une histoire, une photo, un nom sur une plaque.

Depuis quelques semaines, j’ai reçu de nombreux témoignages, de souvenirs de personnes qui les aimaient, qui pensent toujours à eux. Nombre d’entre elles sont aujourd’hui  ici, à nos côtés, par la pensée ou par la prière.

Et à ceux qui ne les ont pas connus et qui sont là aujourd’hui je dis, soyez fiers d’eux et ne les oubliez pas.

Et, à chaque fois que vous regarderez la Méditerranée, pensez qu’elle est leur linceul et qu’ils y reposent à jamais.

Hervé Fauve

Hervé Fauve - Cinquantenaire disparition Minerve

Hervé Fauve  - Photo Pierre Fauve

Photo Pierre Fauve

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