Dans la Marine - conséquences pour le moral
Perte de confiance dans les sous-marins de type Daphné
Les sous-marins de type Daphné comme la Minerve allaient connaître une série d'accidents :
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Le 27 janvier 1968, la Minerve disparaît avec 52 hommes à bord,
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Le 4 mars 1970, l'Eurydice sombre avec 57 hommes à bord,
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Le 21 août 1970, la Galatée, en surface, percute un sous-marin sud-africain dans la rade de Toulon en faisant 6 victimes,
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Le 19 février 1971 la Flore échappe de justesse au naufrage suite à une entrée massive d'eau par le schnorchel (cliquer ICI).
Les sous-mariniers ne pouvaient pas y être indifférents. Ils n'avaient pas seulement perdu des camarades avec la Minerve puis l'Eurydice, il en allait de leur propre sécurité.
Après la Minerve un commandant de sous-marin déclare encore devant la commission d'enquête:
" J'ai une confiance absolue dans le matériel sécurité-plongée de ces bâtiments [...] Je crois à une seule cause plausible : Une cause extérieure, celle d'un abordage par un bâtiment de surface, dans un secteur fréquenté par les bâtiments de commerce."
2 ans plus tard, le 4 mars 1970, le naufrage de l'Eurydice, sister-ship de la Minerve finira d'ébranler la confiance de ces sous mariniers.
Un officier sous-marinier résumera cette période de l'histoire de la marine en ces quelques mots:
"Avant l'accident de la Minerve nous avions une confiance absolue dans la qualité et la fiabilité de ces sous-marins.
Après la Minerve nous restions stupéfaits et n'y comprenions rien, mais après l'Eurydice nous avons eu la trouille."
Même en son sein, la Marine ne fournira pas d'information sur les circonstances de la disparition. Ceci permettra la diffusion de rumeurs diverses.
Pour certains marins il faudra même attendre 2018 et ce site internet pour en savoir davantage sur les circonstances du drame.
Le Service Historique de la Défense à Vincennes détient de nombreux documents qui attestent du profond malaise qui allait alors traverser la Marine. Rien de ce malaise ne transparaîtra à l'extérieur.
Cf: "SHD - Interviews grands marins" Témoignages oraux cote 1 GG et suivantes
De nombreux matelots de l'époque ont témoigné avoir alors tout fait pour quitter les sous-marins. L'un d'eux raconte en 2019:
"A chaque fois que je partais en patrouille je me disais que c'était peut-être la dernière et j'avais la peur au ventre. C'est la raison pour laquelle j'ai quitté la Marine dès que j'ai pu.".
Le Redoutable, le Terrible et le Foudroyant Photo E.C.P Armées F73245
La confiance était altérée. Un ancien marin raconte l'anecdote suivante:
"Lorsque François Querat a pris le commandement du Narval en 1970, il venait de quitter celui de l’Eurydice qui coula peu de temps après son départ.
Il y a eu alors, à bord du Narval, un gars qui ne voulait pas de ce commandant. Un commandant qui venait d’un bateau qui vient de disparaître (juste après la Minerve) était pour lui “un chat noir”. Le gars voulait débarquer du Narval pour ne pas naviguer avec ce pacha porte-poisse (ce qui n’était pas le cas, ce fut un super Pacha reconnu et respecté), son débarquement lui a été refusé, le gars a alors déserté, il était un bon mécano, jugement, prison, carrière terminée.".
C'est surtout l'angoisse de nombreuses épouses de sous-mariniers qui poussent leur mari à renoncer à s'embarquer à bord des sous-marins. L'amiral Joire-Noulens, chef de la FOST, futur Chef d'Etat Major de la Marine, une fois à la retraite, déclarera à ce propos (voir page à suivre).
"Les femmes, leurs maris ont beau être volontaires, elles ne sont pas volontairement veuves"
10% environ des volontaires renoncèrent à poursuivre leur carrière sur ce type de bateau. Ce point posait un véritable problème à l'heure de l'entrée de la France dans le monde des sous-marins nucléaires pour lesquels les sous-marins classiques étaient un vivier de recrutement. Il fallait plus que doubler les effectifs de sous-mariniers dans ces années-là. Un sous-marin nucléaire avec 2 équipages de 125 personnes, plus l'encadrement est à comparer à l'équipage d'un sous-marin classique qui comprenait un équipage de 50 personnes environ.
Aux yeux des patrons de la Marine les responsables sont clairement identifiés. L'Amiral de Joybert, qui fut Chef d'Etat Major de la Marine après les drames déclarera, une fois à la retraite:
"Si nous avons perdu 2 sous-marins classiques la faute, en est strictement au gouvernement et au haut état-major de l'armée".
Il y avait à bord de la Minerve près de la moitié de l'équipage qui avait une très courte expérience voire aucune de la navigation sous-marine. Le personnel d'encadrement aguerri et expérimenté est alors en nombre insuffisant pour les encadrer efficacement. Généralement cette proportion de "nouveaux" se limitait au quart de l'équipage.
L'Amiral de Joybert déclarera aussi: "En cas d'accident les vieux savent quoi faire, les jeunes s'affolent, prennent peur et se trompent alors de commande ou en actionnent dans le mauvais sens" sur quoi l'Amiral Joire-Noulens rencherit "3 pépins: un problème technique et 2 erreurs humaines, ou 2 erreurs techniques et une erreur humaine et on va au tapis."
La reconquête de la confiance
Les dirigeants de la Marine entreprirent alors un travail de reconquête de cette confiance perdue en agissant dans plusieurs directions:
Amiral Marc de Joybert (1912-1987) fut Chef d'état Major de la marine de 1972 à 1974. Son témoignage enregistré sur la Minerve est consultable au SHD à Vincennes sous la cote: MVGG 9 GG
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La formation
Comme on le lit dans le dossier "Confidentiel Défense" de la Minerve il y a beaucoup à faire de ce côté-là.
Il n'existe pas encore de simulateur et de nombreux marins se forment, sur le plan pratique, aux côtés de leurs compagnons, une fois embarqués.
Par exemple, le Lieutenant de Vaisseau Merlo témoigne à la commission d'enquête à propos de la diffusion des incidents des sous-marins.
"Ces diffusions sont toujours faites par voie orale. [je crois] personnellement qu'il serait bon qu'il existe une sorte de diffusion périodique des incidents mettant en cause la vie des sous-marins."
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La fiabilité technique
Toutes les causes plausibles d'accidents vont faire l'objet d'un examen minutieux qui se traduira par la mise en place de mesures correctives.
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Les procédures
Certaines pratiques pouvaient mettre l'équipage en danger lors de moments critiques, tel le changement de poste complet et simultané à chaque relève de quart ; cela pouvait engendrer des conséquences dramatiques s'ils étaient concomitants à une situation potentiellement grave.
Il convenait aussi de définir plus précisément ce qui pouvait être autorisé et ce qui ne devait pas l'être pour éviter de mettre le sous-marin dans des situations potentiellement dangereuses.
Par exemple des prises d’assiette (inclinaison) trop importantes du sous-marin pouvaient rendre certains équipements de sécurité inopérants ou empêcher des manœuvres de récupération.
La confiance finit par revenir, car, après la Flore en 1971, il n'y eut plus d'accident majeur sur ce type de sous-marin.
A la fin des années 1980 il y aura même certains commandants de sous-marins type Daphné qui déclareront n'avoir découvert les drames de la Minerve et de l'Eurydice que plus tard.
A suivre une page avec le témoignage oral de l'amiral Joire-Noulens sur cette période.
Le CA Dominique Salles lors de son discours à l'occasion du 50° anniversaire de la disparition de la Minerve © MER ET MARINE - FRANCIS JACQUOT
Et aujourd'hui
50 ans après le drame, l'amiral Salles déclarera dans son discours à l'occasion du cinquantenaire de la disparition de la Minerve:
"Ainsi, les propositions faites à l’issue des enquêtes viseront à parer de telles catastrophes. Elles seront à l’origine d’une vision plus stricte de la sécurité, elles seront fondements de notre culture de sous-marinier que ce soit en matière
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de conception, d’entretien ou de réglementation,
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de formation et d’encadrement de notre personnel,
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d’entraînement de nos équipages et de conduite de nos sous-marins."